Et si le Grand Paris express était un fiasco ? Le chantier pharaonique qui doit désenclaver la banlieue, avec 200 kilomètres de métro autour de Paris et 68 nouvelles gares, a du plomb dans l’aile. Retards en pagaille, chantiers à l’arrêt, facture qui explose : la promesse initiale de 2011 semble de plus en plus irréalisable. Résultat, des habitants et des élus excédés. Europe 1 a enquêté pour tenter de comprendre les raisons de cet échec.
Un trou béant en centre-ville. Illustration à Champigny-sur-Marne où plusieurs centaines d'habitants étaient rassemblés mardi soir à l'appel du maire. Dans leur ville, un immense chantier a été lancé il y a trois ans pour connecter deux tronçons de la future ligne 15 du Grand Paris express. Pour l’instant, tout ce qu’ils constatent c’est un trou béant de plusieurs centaines de mètres, en centre-ville, qui gêne la circulation et le quotidien des riverains. Pour cet ouvrage, 200 millions d’euros ont été investis, peut-être en pure perte car aujourd’hui, la Société du Grand Paris s’interroge sur la pertinence de cette interconnexion.
D'où la colère des habitants, et notamment de ceux qui habitent juste à côté du chantier. Samy habite au dernier étage d’un immeuble qui surplombe le chantier : "On nous prend pour des cons ! Ça fait trois ans que ça dure, et aujourd’hui on nous annonce que tout ce qu’on a subi de 6h à 22h, six jours sur sept, c’est pour rien ?", s’énerve-t-il. Même incompréhension chez Dominique, retraitée : "On ne se laissera pas faire et on va mobiliser dans les quartiers, c’est l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants qu’on défend". Contactée par Europe 1, la Société du Grand Paris affirme que la décision définitive pour ce projet particulier sera prise à l’issue d’une expertise financière qui va être lancée dans les semaines qui viennent.
"Ça reste un exploit important". Quand les chantiers ne sont pas menacés d’être abandonnés, ils sont bien souvent en retard, avec des délais rallongés jusqu’à six ans sur certaines lignes. Le gouvernement s’est rendu compte qu’il y avait embouteillage, qu’on ne pouvait pas réaliser tous les travaux en même temps. "On peut penser que 20 ans c’est long, mais être passé quasiment d’une page blanche en 2010 à un réseau de 200 kilomètres de voies nouvelles en 2030, ça reste un exploit important", se défend au micro d'Europe 1 Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris. "C’est vrai que dans les phases intermédiaires, on n’aura pas l’ensemble des lignes réalisées, on aura simplement des tronçons, mais 2030 ca va arriver vite."
Des habitants relogés pour rien. Autre exemple, à Chelles, en Seine-et-Marne. La ligne 16 (Saint-Denis – Noisy) devait être mise en service en 2024. Avec les retards, ce sera désormais 2030. Pour accueillir la gare du Grand Paris, quatre hectares du centre-ville qui étaient habités et ont été transformés en terrain vague. Les travaux sont à l'arrêt depuis plusieurs mois. "On a mis des gens gentiment dehors en leur demandant de partir rapidement, alors que ces même personnes constatent que leur maison a été détruite pour laisser la place à un chantier en arrêt total", déplore le maire Brice Rabaste (LR).
L’élu peste contre les soi-disant économies promises par la Société du Grand Paris. "On prétend faire des économies mais quand on arrête les travaux, quand on fait des ouvrages temporaires de retournement des trains parce qu’on ne finit pas le dernier tronçon de cinq kilomètres sur les 27 prévus, on n’est pas sûr que l’économie réalisée soit aussi intéressante que ça", estime Brice Rabaste. Au-delà du coût financier, le retard pose un problème pour les Jeux Olympiques. La ligne 16 ne sera pas prête à temps, alors qu’à Chelles, une base de loisirs doit accueillir les épreuves de kayak et d'aviron.
Incertitudes pour les JO. De manière générale, le doute plane sur la capacité à transporter convenablement les visiteurs lors des JO de 2024, même si la desserte des sites olympiques est prioritaire. Il y a effectivement une incertitude sur le tronçon des lignes 16 et 17 (au départ de Saint-Denis) qui amène au village média, à côté de l'aéroport du Bourget. 20.000 journalistes du monde entier y sont attendus. Le site accueillera également les épreuves de volley et de tir. Le métro sera-t-il prêt à temps ? Le calendrier est extrêmement tendu de l’avis même de la Société du Grand Paris. "S’il y a un nouveau retard, ce serait inacceptable, trop c’est trop", s’emporte Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine Saint Denis.
En l’absence de métro, l’alternative pourrait être de simples bus pour desservir certains sites olympiques. C’est ce qu’affirment certains élus. Chez Île-de-France Mobilités, qui gère le réseau de transport francilien, on minimise déjà l’impact d’un tel scenario. "Les sites sont déjà desservis, s’il y a des lignes de métro en plus tant mieux, sinon on s’en sortira avec les infrastructures actuelles", assure un porte-parole.
"On va créer beaucoup de déceptions". Conséquence de ces retards à répétition, la facture globale du Grand Paris express a explosé : 38 milliards d’euros, selon une estimation de la Cour des comptes, seize milliards de plus que ce qui avait été prévu en 2010. Édouard Philippe a d'ailleurs demandé à la Société du Grand Paris de faire baisser la facture de 10%. Il faut en plus trouver de nouveaux financements estimés entre 200 et 250 millions d’euros par an, pour que le projet soit pérenne. Au gouvernement, on ne se voile pas la face sur ce fiasco. En coulisses, un ministre le reconnait : "Ce dossier, c'est une boite à gifles. On a totalement sous-estimé la complexité de ce chantier. On va créer beaucoup de déceptions".