Lutte contre le protectionnisme : "le blocage des États-Unis est historique"

Donald Trump veut faire primer les intérêts des États-Unis dans les échanges commerciaux.
Donald Trump veut faire primer les intérêts des États-Unis dans les échanges commerciaux. © Mandel NGAN / AFP
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Clément Lesaffre , modifié à
Lors du G20, les États-Unis ont refusé de s’engager à lutter contre le protectionnisme. Du jamais-vu dans l’histoire moderne du commerce international.
INTERVIEW

Les États-Unis sortent un peu plus du bois. La réunion des ministres des Finances du G20 qui s’est tenue à Baden Baden, en Allemagne, le week-end dernier, a mis en lumière l’orientation de la future politique commerciale américaine. En effet, la déclaration finale ne contient aucune référence au traditionnel engagement de lutter contre le protectionnisme. Et pour cause, les États-Unis, représentés par le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, ont refusé de s’engager sur ce point, ainsi que sur le financement de la lutte contre le réchauffement climatique. Faut-il s’inquiéter du repli annoncé des États-Unis ? Réponse avec Sébastien Jean, économiste et directeur du Centre d’études prospectives et d'informations internationales (CEPII).

Que signifie l’opposition affichée par les États-Unis, lors du G20, à la lutte contre le protectionnisme ?

Depuis 2005, dans chaque communiqué final du G20, il y a un appel à lutter contre le protectionnisme. Sauf cette année. Ce blocage des États-Unis est donc historique. Il l’est encore plus au regard de la place centrale que tiennent les États-Unis dans le commerce international depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont fourni les outils qui ont façonné l’économie mondiale telle qu’on la connaît aujourd’hui : les accords de Bretton-Woods, la libre-convertibilité des changes et évidemment l’OMC et le libre-échange.

Les États-Unis ont toujours prôné le libre-échange avec leurs partenaires. Mais ce qu’on a vu ce week-end à Baden Baden n’est pas une surprise. C’est juste l’application concrète de la politique de l’administration Trump. Seulement cette fois, cette prise de position a eu lieu dans une réunion officielle, qui plus est lors de la réunion des ministres des Finances du G20, une des pièces majeures de la coordination internationale.

Faut-il en déduire que les États-Unis de demain seront protectionnistes ?

Cet événement ne permet pas de préjuger de la direction que prendra la politique commerciale américaine. L'administration Trump est extrêmement contradictoire, à l’image du Président. Il faut garder en mémoire son revirement sur la Chine (après avoir appelé la présidente de Taïwan, le président américain avait finalement accepté de reconnaître le principe d’une "Chine unique", ndlr). Dans cette logique, Donald Trump s’est entouré de conseillers et de responsables politiques très hétérogènes. Il y a des chantres du nationalisme économique avec un discours radical, comme son plus proche conseiller Stephen Bannon. Et d’autres plus pragmatiques, à l’instar du secrétaire au Trésor Steven Mnuchin.

Ce qui n’aide pas à déchiffrer la politique commerciale américaine, c’est la confusion autour de la mise en place. Nous sommes en mars, cinq mois après l’élection de Donald Trump, deux mois après son entrée en fonctions, et la nomination du représentant américain au commerce, Robert Lightizer, n’a toujours pas été validée par le Congrès. Or, il fait plutôt partie des pragmatiques. S’il obtient l’aval du Congrès, il pourrait enfin clarifier et nuancer la ligne des États-Unis.

Si la politique commerciale n’est pas encore définie, pourquoi revendiquer aussi tôt une position aussi clivante ?

Pour l’instant, les États-Unis de Donald Trump ont une approche assez régressive et unilatérale du commerce. Unilatérale dans le sens où les intérêts américains doivent primer dans tous les échanges. C’est pourquoi ils répètent régulièrement que le droit américain prime sur les engagements internationaux. Soit l’exact inverse des usages en vigueur dans le droit international. C’est une façon pour eux de nier la coopération internationale telle qu’elle existe aujourd’hui. C’est la patte Trump, la patte du businessman. Il négocie à travers les rapports de force. Sa stratégie est simple : déstabiliser et inquiéter ses partenaires afin d’arriver à ses fins et conclure les deals qui lui donnent un avantage.

" Les États-Unis se présentent comme les perdants de la mondialisation du 21ème siècle. Ce n’est évidemment pas le cas. "

Le refus américain de lutter contre le protectionnisme est surtout symbolique. Donald Trump a fait de la protection des intérêts américains l’axe principal de sa campagne (avec son slogan "America first"). Le G20 est la première sortie officielle pour son administration et ne pas respecter son engagement était impossible.

Lors du G20, les États-Unis ont défendu un commerce "équilibré et équitable". A quoi correspond cette vision ?

Cette expression ne signifie rien. A mes yeux, ce sont des mots creux. Il suffit de les confronter aux précédents discours de politique commerciale pour s’apercevoir que les États-Unis comptent faire passer leurs intérêts au premier plan. Ce qui est terrible, c’est qu’on a l’impression, en les écoutant, que les États-Unis sont les grands perdants de la mondialisation ces quinze dernières années. Ce qui n’est évidemment pas le cas.

Mais le repli américain pourrait être potentiellement coûteux pour eux sur le plan diplomatique. Maintenant, les partenaires des États-Unis sont avertis et préparés. Donc ils peuvent reprendre la main. Même pour les États-Unis, il est impossible d’avancer seul dans la mondialisation. Donald Trump aura forcément besoin de nouer des alliances. Il doit bien être conscient de l’obligation de ne pas créer de cassure irréparable. Il n’est donc pas exclu que la raison l’emporte…

Qui a le plus à perdre – ou à gagner – du protectionnisme annoncé des États-Unis ?

En cas de repli des États-Unis, ceux qui en souffriraient le plus seraient leurs voisins immédiats et… les États-Unis. En réalité, tout le monde a beaucoup à perdre. Notamment en Europe, où l’inquiétude grandit concernant l’environnement. Il faut absolument veiller à ce que le positionnement des États-Unis ne conduise pas à jeter par-dessus bord les accords environnementaux.

Toutefois, je ne crois pas à un retrait immédiat et uniforme. A mon avis, les États-Unis vont privilégier des désengagements et des renégociations ciblées, sectorielles. Dans ce contexte chamboulé, la Chine s’est affirmée à Davos comme le relai de la mondialisation. Mais les mots ne valent pas les actes et les Chinois sont loin de pouvoir donner des leçons d’ouverture commerciale. Reste qu’il y aura besoin d’un nouveau soutien de la mondialisation, quelle que soit la forme qu’elle prendra. L’Union européenne a beaucoup d’intérêts à défendre et on peut espérer qu’elle joue, à l’avenir, ce rôle de moteur, aux côtés de la Chine.