"Nous avons un bon programme économique (…) Nous allons de nouveau rêver de grandes choses pour notre pays". A peine élu, Donald Trump a tenu à rassurer les milieux économiques sur ses intentions. Sauf que ces derniers sont plutôt sceptiques, les principales places boursières réagissant négativement à son élection, et pour cause : son programme pose de nombreuses questions.
• Comment réagissent les marchés financiers ? Les investisseurs n’ont pas attendu longtemps pour réagir : les marchés asiatiques sont passés dans le rouge dès que la victoire de Donald Trump s’est précisée. Le principal indice japonais, le Nikkei, a clôturé en chute de 5,36%, tandis que la bourse de Shanghaï finissait en baisse de 0,62%. Sur les places boursières européennes, la réaction est plus mesurée : à midi, le Cac 40 et son homologue allemand reculaient chacun de près de 1,5%, tandis que le principal indice italien perdait 2,3% et que Londres limitait la chute à 0,5%. En revanche, le principal indice russe gagnait 1,7%, misant sur un rapprochement entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Si les marchés d’actions sont malmenés, les investisseurs se sont rués sur ce qu’on appelle les valeurs refuges : l’or, dont le cours a bondi de 15 à 20% selon le support, ou encore le franc suisse, qui a pris 2% par rapport au dollar. Ce scénario rappelle ce qu'il s'était passé après le Brexit, bien que la réaction des marchés soit moins violente mercredi matin qu'en juin dernier.
• Pourquoi de telles réactions ? S’il y a bien une chose que les investisseurs et les entreprises détestent, c’est l’imprévisibilité. Or l’élection de Donald Trump est synonyme de saut dans l’inconnu, là où l’élection d’Hillary Clinton se serait traduite par le statu quo. Les marchés sont donc fébriles, d’autant que les seules certitudes qu’ils ont à propos de Donald Trump ne les rassurent pas : un programme protectionniste, voire isolationniste, qui risque de ralentir le commerce international. Sans oublier les orientations géopolitiques que pourrait prendre le futur président et qui pourraient avoir des conséquences très concrètes sur l’économie. Bref, la finance américaine, mais aussi mondiale, est entrée dans " une période de grande incertitude", dixit Black Rock, le plus gros gestionnaire d’actifs au monde.
• Au fait, quel est le programme économique de Trump ? Sans détailler l’ensemble des promesses de Donald Trump, plusieurs grandes réformes sont attendues. Il y a d’abord une baisse de l’impôt, à la fois en faveur des particuliers et des entreprises, la suppression de l’Obamacare, la grande réforme du système d’assurance santé, l’allègement des contraintes réglementaires sur le secteur de l’énergie. Donald Trump a également promis une baisse de 1% par an du budget fédéral, un vaste programme d’investissement dans les infrastructures, ainsi que la renégociation – voire l’abandon - de nombreux traités de libre-échange. Le futur président a en outre promis une hausse du salaire minimum, sans donner plus de précision.
• Ce programme est-il de bon augure pour les Etats-Unis ? La baisse d’impôt promise devrait redonner du pouvoir d’achat aux ménages et des marges de manœuvres aux entreprises, avec l’hypothèse suivante : selon la théorie du ruissellement, cet argent rendu aux ménages les plus favorisés sera dépensé, relançant l’activité et donnant du travail aux classes populaires. Sauf que cette théorie est très contestée et que moins d’impôts, c’est aussi moins d’argent dans les caisses de l’Etat : une telle réforme risque donc de creuser un peu plus un déficit public déjà abyssal, a averti le Tax Policy Center.
La suppression de l’Obamacare pourrait également provoquer une baisse des primes d’assurances pour les classes moyennes et supérieures, et donc leur redonner du pouvoir d’achat. Mais à plus long terme, cela signifie également un moins bon suivi médical des plus défavorisés, avec le risque de voir les pathologies lourdes se multiplier. Donald Trump a aussi promis de réduire d’alléger les contraintes réglementaires et environnementales sur le secteur de l’énergie, qui pourrait donc voir son activité repartir. Reste à savoir si les prix du pétrole, actuellement très bas, ne vont pas limiter ce rebond.
Le futur président a en outre promis un vaste programme d’investissement dans les infrastructures, de plus de 500 milliards. Vu l’état de délabrement de certaines routes ou lignes ferroviaires, ces travaux devraient booster d’abord l’emploi puis l’activité économique. Le financement de ce plan est néanmoins incertain, Donald Trump ayant en outre promis une baisse de 1% par an du budget fédéral, en plus d’une baisse d’impôt.
Enfin, les Etats-Unis pourraient renégocier de nombreux accord de libre-échange afin de mieux protéger le made in USA : ceux actuellement en vigueur, tel que l’Alena, mais aussi ceux en cours de négociations, tels que le Tafta et le TPP. Donald Trump assure que restaurer des barrières douanières permettra de doper l’industrie américaine, de créer 25 millions d'emplois sur dix ans et d’atteindre 4% de croissance. Sauf que cela risque de renchérir les produits américains, et donc handicaper leurs exportations, mais aussi leurs importations, ce qui se traduirait par une baisse de l’activité économique.
• Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour l’Europe ? Si Donald Trump applique entièrement son programme, le commerce international risque d’en pâtir, et donc l’activité en Europe. Mais l’Europe pourrait subir des contrecoups encore plus violents, d’après Olivier Passet, directeur des synthèses chez Xerfi : la politique américaine pourrait même provoquer une guerre des devises et une hausse des taux d’intérêt auxquelles l’Europe n’est pas préparé. En clair, un nouvel épisode de la crise des dettes souveraines. L’autre risque n’est pas forcément économique mais pourrait coûter cher aux Européens : Donald Trump estime que les Etats-Unis dépensent beaucoup trop d’argent pour assurer la sécurité de ses alliés, et notamment pour l’Europe. Cette dernière pourrait alors être contrainte d’augmenter ses dépenses militaires pour se renforcer dans un contexte de voisinage compliqué avec la Russie.
• Quels Etats ont le plus à perdre avec cette élection ? Le plus inquiet est le Mexique, qui est devenu le principal sous-traitant des Etats-Unis et pourrait pâtir de la hausse des barrières douanières. Sans oublier que sa monnaie dépend grandement du cours du dollar et est tombée mercredi matin à son plus bas historique ? Enfin, le Mexique compte de nombreux ressortissants entrés illégalement aux Etats-Unis et qui pourraient être expulsés.
Deux autres Etats ont également du souci à se faire. Il y a d’abord l’Iran, qui attend la levée de sanctions économiques en échange de l’accord conclu sur le nucléaire : Donald Trump veut remettre en cause cet accord. Enfin, le Japon est également dans l’incertitude : le futur président a multiplié les critiques à leur encontre alors que les deux Etats sont très liés économiquement. En outre, la période d’inquiétude qui commence provoque une ruée sur les valeurs refuge dont fait partie le yen. Problème : la monnaie japonaise est déjà surévaluée et handicape les exportations, pourtant au cœur du modèle économique nippon.
• Un scénario à nuancer. Un tel scénario doit néanmoins être nuancé à plus d’un titre. D’abord parce qu’un candidat met rarement en application toutes ses promesses, surtout lorsqu’elles sont floues. Ensuite parce que Donald Trump devra composer avec l’administration présidentielle, qui va sûrement tenter de lui faire prendre des décisions moins clivantes et radicales, mais aussi avec le Congrès américain, résolument opposé à toute politique isolationniste.