Semaine chargée pour la SNCF : la compagnie de chemins de fer, qui fête ses 80 ans lundi, connaîtra mercredi les tenants et les aboutissants détaillés de la réforme préparée par le gouvernement, avant de présenter à son tour son "plan d’économies" jeudi. Si les grandes lignes de ces échéances ont déjà été dévoilées, les détails filtrent petit à petit. On a ainsi appris dimanche que le Premier ministre Édouard Philippe a décidé de ne pas toucher aux billets gratuits pour les employés de la SNCF. Un choix plus politique qu’économique.
Avantage quasiment sans limites
Les "facilités de circulation", nom officiel de ces billets gratuits, sont un des avantages accordés à l’ensemble des employés de la SNCF, indépendamment du fameux statut des cheminots que le gouvernement veut supprimer progressivement. L’ensemble des 146.000 employés de la compagnie de chemins de fer bénéficient donc, grâce au Pass Carmillon, de voyages entièrement gratuits sur le réseau SNCF. Un acquis que chaque employé conserve quand il part à la retraite. La seule limite concerne les trains à réservation obligatoire, comme les TGV, avec une restriction à huit trajets gratuits par an. Au-delà, les employés doivent s'acquitter du montant de la réservation (1,50 euro en période normal et 13,90 euros en période de pointe) mais ne payent pas le billet.
Les proches aussi y ont droit. En réalité, le véritable intérêt des billets est qu’ils concernent aussi la famille des salariés de la SNCF. Leurs conjoints et leurs enfants (jusqu’à 21 ans) ont droit à seize trajets gratuits par an et ne payent que 10% du prix public une fois cette limite dépassée. Pour les parents, grands-parents et beaux-parents, c’est "seulement" quatre trajets. La SNCF n’est pas la seule entreprise à proposer un tel avantage. Chez Air France, les salariés profitent d’une réduction autour de 30% sur les billets (mais plusieurs catégories existent en fonction de l'ancienneté et du poste dans l'entreprise), un avantage sans limite également valable pour le conjoint et les enfants jusqu'à 26 ans. Les parents, les grands-parents et les beaux-parents, mais aussi les amis peuvent aussi en bénéficier de façon limitée, à condition de voyager avec le salarié.
Un coût de 100 millions par an
Le problème, c’est que ces billets coûtent cher à l’entreprise. En 2014, la Cour des Comptes avait pointé du doigt cet avantage. Selon elle, les salariés de la SNCF en activité ne représentent que 15% des 1,1 million de bénéficiaires annuels de ces billets gratuits ou réduits. Au total, le manque à gagner atteindrait 100 millions d’euros par an pour la compagnie de chemins de fer (pour Air France, ce serait environ 90 millions). Une somme non-négligeable pour la SNCF qui perd trois milliards d’euros par an. L’entreprise se défend en avançant de son côté le chiffre de 21 millions d'euros. De son côté, l’Arafer (le gendarme du rail) estime que les passagers bénéficiant de billets gratuits représentaient 5% des recettes kilométriques des TGV domestiques en 2016.
Le gouvernement, qui avait fustigé lors de l’annonce de la réforme la gestion financière de la SNCF (50 milliards d’euros de dette cumulée), aurait donc pu logiquement demander à l’entreprise de limiter la distribution de billets gratuits. Finalement, cela ne devrait pas être le cas. Selon Les Échos, Édouard Philippe et la ministre des Transports Élisabeth Borne ont renoncé à s’attaquer à cet avantage, suivant ainsi les recommandations du rapport Spinetta.
Ne pas fâcher les cadres
Le quotidien économique mentionne deux explications possibles à ce choix. D’abord, "cet avantage fait partie du contrat moral passé à l'embauche", explique une source impliquée dans le dossier aux Échos. "De nombreux cheminots ont organisé leur vie autour. 40 % des conducteurs de trains en région parisienne, par exemple, habitent à l'extérieur de l'Île-de-France. Ils n'ont accepté ces postes que parce qu'ils peuvent rentrer chez eux à un coût très réduit." Restreindre les billets gratuits rendrait donc moins attractifs les emplois au sein de la SNCF, ce que le gouvernement ne souhaite pas afin de conserver un service public ferroviaire de qualité.
L’autre justification est plus politique : "Ce sont surtout les cadres qui profitent des billets TGV gratuits, car ils ont plus de pouvoir d'achat pour voyager", pointe un expert du secteur interrogé par le quotidien. "Or, dans le conflit qui s'annonce, l'exécutif aura besoin du soutien de l'encadrement face à la base." Échaudés par la fin programmée des recrutements au statut, les syndicats de cheminots sont en effet prêts à entamer un conflit social dur. En épargnant les billets gratuits, le gouvernement s’assure donc ne pas avoir l’intégralité des salariés face à lui.