Le sort de la grève à la SNCF se jouera-t-il sous les ors du Palais Bourbon ? La réforme ferroviaire arrive mardi au Sénat. Depuis l’adoption du texte par les députés le 17 avril, beaucoup de choses ont évolué : la mobilisation des cheminots a baissé, Édouard Philippe a annoncé la reprise partielle de la dette du groupe et les syndicats réformistes ont accepté la main tendue par le gouvernement. Résultat, la réforme arrive au Sénat avec quelques retouches réclamées par la CFDT et l’UNSA et soutenues par l’exécutif.
La reprise de la dette a ouvert la voie. Pour Emmanuel Macron, le gouvernement a "fait ses dernières propositions" avec les annonces de Matignon vendredi sur la reprise d'une large partie de la dette, à hauteur de 35 milliards d'euros. Et le gouvernement compte "introduire dans le texte au Sénat un amendement qui limitera la capacité d'endettement de la SNCF, pour qu'elle ne se retrouve jamais confrontée à nouveau à un endettement insoutenable", selon Édouard Philippe. Cette concession sur la dette a permis de débloquer un peu le conflit social, l’Unsa et la CFDT consentant à dialoguer avec l’exécutif.
Résultat, les deux syndicats réformistes ont proposé plusieurs dizaines d’amendements, dont certains retenus par le gouvernement et soumis désormais aux sénateurs. Après le vote "très au-delà de la seule majorité" à l'Assemblée, les trois jours de débats au Sénat vont ainsi "permettre d'aboutir à un texte conforme à la volonté que porte le gouvernement", avec notamment la reprise de "certains apports demandés par l'Unsa et la CFDT", souligne Édouard Philippe dans le JDD. Le président du Sénat Gérard Larcher (LR) estime, lui, que la Chambre haute dans sa majorité votera la loi "sur les grands principes", mais "améliorée".
Une réforme amendée. "Ferme sur les principes" clefs de la réforme (transformation de l'entreprise, ouverture à la concurrence, fin du recrutement au statut), le Premier ministre martèle qu'il est "ouvert à la discussion" sur certains points. Ainsi, "pour dissiper, s'il le fallait, la crainte d'une privatisation", glisse le chef du gouvernement, l'"incessibilité" des titres du futur groupe ferroviaire sera, finalement, gravée dans la loi. La crainte d’une privatisation future, un des principaux moteurs de la mobilisation des cheminots, pourrait donc être levée dans les jours à venir.
Le passage en commission au Palais Bourbon a également donné quelques indications sur le vote à venir. Face aux "inquiétudes légitimes des salariés", selon le rapporteur Gérard Cornu (LR), les sénateurs ont favorisé en commission le volontariat pour le transfert, ou permis, pendant une période déterminée, aux salariés réembauchés dans le groupe public ferroviaire de bénéficier à nouveau du statut. La CFDT demande que les possibilités de retour se fassent sans délai, non dans les trois ans comme le veut le gouvernement.
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Vers la fin de la grève ? Traditionnellement attachés à l'aménagement du territoire, les sénateurs souhaitent aussi retoucher la loi en ce sens. Ils ont ainsi voulu, en commission, préserver certaines dessertes TGV, et les prérogatives des régions, autorités organisatrices de transports pour les TER. "La responsabilité du maintien des dessertes directes des villes moyennes ne saurait peser sur les seules régions, en l'absence de financements spécifiques", selon le président de la commission Hervé Maurey (UC). Les sénateurs ont donc intégré au texte une proposition de loi, votée fin mars, prévoyant la conclusion par l'État de contrats de service public pour répondre aux besoins d'aménagement du territoire et préserver des dessertes directes sans correspondance.
Entre les amendements des syndicats, les aménagements des sénateurs et les concessions du gouvernement, la fin de la grève avant l’échéance du 28 juin se profile. Si le Premier ministre se défend de "jouer un syndicat contre un autre" pour parvenir rapidement à la fin du conflit à la SNCF, l'exécutif mise sur les réformistes. L'Unsa se prononcera "très rapidement" sur son éventuelle sortie du conflit. Et le numéro un de la CFDT Laurent Berger juge que "les deux semaines qui s'ouvrent sont décisives", sa centrale comptant peser "jusqu'au bout" du processus parlementaire pour obtenir "les évolutions que nous souhaitons".
La CFDT reste vigilante. L’examen de cette version 2.0 du pacte ferroviaire va se poursuivre toute la semaine avant le vote solennel le 5 juin, date qui tombe en plein milieu du congrès de la CFDT (4-8 juin). Le syndicat réformiste pourrait, s’il obtenait satisfaction, faire évoluer sa position sur la grève à cette occasion. Autre échéance possible : le 13 juin, date de la commission mixte paritaire où députés et sénateurs tenteront de s'accorder sur une version commune. Une option plus probable à croire Laurent Berger : "Nous allons continuer la mobilisation sociale jusqu’à la fin de la discussion parlementaire et la commission mixte paritaire entre députés et sénateurs".
Les députés auront donc à leur tour un rôle important dans cette commission mixte paritaire. "J'imagine que Laurent Berger attend de s'assurer que la nouvelle rédaction est adoptée" notamment sur l'"incessibilité", et "si le Sénat ne le fait pas, on le fera", a déclaré sur France 3 le patron des députés LREM Richard Ferrand. "Tout est prêt pour repartir sur des bons rails, il est temps que tout le monde se remette au travail." Reste une inconnue : si la CFDT et éventuellement l’Unsa quittent la grève avant le terme, rien n’indique que la CGT et SUD Rail suivront.