Emmanuel Macron et Edouard Philippe sont prévenus. Dans les années qui viennent, il faudra faire avec Gilles Simeoni. L’autonomiste corse, allié à l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni, a remporté dimanche, et largement en plus, les élections territoriales, qui lui permettent de prendre les rênes de la nouvelle collectivité unique à partir du 1er janvier. Moins radical mais tout aussi ferme dans ses revendications que son duettiste, Gilles Simeoni sera à n’en pas douter l’interlocuteur de l’exécutif parisien. Un aboutissement pour cet avocat de 50 ans, prêt à porter les aspirations de son camp.
"J'ai toujours milité pour l'arrêt de la violence". Le nationalisme corse, Gilles Simeoni, l’a dans le sang. Il est le fils d’Edmond Simeoni, l’un des pères du mouvement. S’il a participé en 1975 à une action violente emblématique - et qui lui vaudra 18 mois de prison - dans une cave viticole d’Aleria, à l’est de l’île, le paternel est un pacifiste. "Gilles Simeoni a grandi dans cet espoir-là", explique à Europe1.fr Jean-Marc Raffaelli, journaliste à Corse-Matin. "Depuis que je me suis engagé en politique, j'ai toujours milité pour l'arrêt de la violence clandestine et le choix de l'action exclusivement démocratique", expliquait Gilles Simeoni dans Libération en août 2017.
" Tout le monde l’aime, même ses adversaires "
Et pour parvenir à ses fins, l’homme dispose d’un atout de taille : son charme naturel. "Il est jeune, très charismatique, très séduisant. Tout le monde l’aime, même ses adversaires", sourit Jean-Marc Raffaelli. Ce qui n’en fait pas un politicien policé. "Politiquement, c’est un tueur. Dans son discours, il est aussi ferme que Jean-Guy Talamoni. Mais il est plus sympathique, il dit les choses avec le sourire, quand l’autres est plus austère, plus fermé", poursuit le journaliste. Cette différence explique en partie pourquoi c’est bien Gilles Simeoni qui est plus sur le devant de la scène.
"La société corse a évolué dans son sens". Mais en politique, le charme ne fait pas tout. La bonne étoile, ça compte, aussi. "Depuis la loi de 1982 créant une spécificité, avec l’Assemblée de Corse, la gauche et la droite se sont succédé, et on ne peut pas dire que l’une et l’autre aient un bilan formidable : la pauvreté est plus importante en Corse que sur le continent, le chômage est plus élevé…", rappelle Jean-Marc Raffaelli. "Gilles Simeoni a pu grimper parce que la classe politique dite traditionnelle s’est effondrée. Dans le même temps, la société corse a de plus en plus adhéré au statut d’autonomie qu’il défend. Ce n’est pas lui qui a évolué, c’est la société corse qui a évolué dans son sens."
" Aux municipales de Bastia, psychologiquement, il y a eu un basculement "
Ne manquait dès lors plus qu’une étincelle. "Le tournant, c’est l’élection municipale de Bastia, quand il a fait tomber le clan Zuccarelli, qui régnait sur la ville depuis près de 50 ans", estime le journaliste de Corse-Matin. Le fils, Emile, maire depuis 1989, avait en effet pris la succession du père, Jean, en place entre 1968 et 1989. Mais grâce à une alliance - qu’il n’a pas lui-même sollicitée - avec une partie de la gauche autonomiste et de la droite locale, Gilles Simeoni est parvenu à l’emporter. Un séisme. "Là, psychologiquement, il y a eu un basculement", estime Jean-Marc Raffaelli. "Avant, les nationalistes, on les considérait comme une force d’opposition capable de mettre la pression, mais pas de prendre le pouvoir. Il y avait un plafond de verre."
"Prolongement logique". Un certain charisme, des circonstances favorables donc. Manquait un zeste de stratégie. A ce titre, c’est en 2015 qu’a lieu le tournant. Lors des élections territoriales, la liste de Gilles Simeoni et celle de Jean-Guy Talamoni fusionnent entre les deux tours, pour une victoire finale historique. C’est cette même alliance qui a toujours cours aujourd’hui. "En fait, l’élection qui vient d’avoir lieu est un prolongement logique", analyse Jean-Marc Raffaelli. "Ils viennent seulement de lancer des chantiers. Il était assez naturel que les gens leur laissent le temps de faire leur preuve ou de se casser la gueule", résume le journaliste.
Voilà donc Gilles Simeoni, flanqué de Jean-Guy Talamoni, aux manettes pour obtenir une autonomie de plein droit et de plein exercice pour la Corse. Le chantier semble colossal, notamment parce qu’il passe par l’inscription de l’existence de la Corse dans la Constitution, à l’instar des territoires d’outre-mer. Il leur faudra pour cela convaincre Emmanuel Macron d’abord, trois cinquièmes des parlementaires ensuite, majorité nécessaire pour adopter une réforme constitutionnelle. Autant dire qu’il faudra à Gilles Simeoni une bonne dose de charme, pas mal de circonstances favorables et plus qu’un soupçon de stratégie.