Il y a trois ans jour pour jour, le 17 mars 2020, la France se confinait pour la première fois à cause du Covid-19. Dans notre pays, l’épicentre de l’épidémie se trouvait alors à Mulhouse dans le Haut-Rhin, là où avait été détecté un premier cluster fin février. Cette ville de 110.000 habitants se retrouvait alors submergée par un virus inconnu. L’hôpital était rapidement saturé et l’armée s’était même déployée sur son parking. Trois ans après, deux soignants au cœur de la bataille racontent.
"On entre en guerre contre quelque chose qu’on ne connaît pas"
Début mars 2020, Mulhouse bascule dans l’enfer du Covid-19. "Il y a trois ans, pour ma part, j’étais complètement perdue", se souvient Myriam Boukhechem, infirmière libérale dans la ville alsacienne. Les questions se bousculent alors dans sa tête : "Comment vais-je faire avec mes patients, ma famille ?". Elle se souvient de l'allocution télévisée d'Emmanuel Macron le 16 mars 2020, au soir. "On nous annonce le confinement, le président parlait de guerre. Mais on entre en guerre contre quelque chose qu’on ne voit pas, qu’on ne connaît pas. Et sans matériel !". La jeune infirmière poste alors des messages sur les réseaux sociaux : "S’il vous plaît, auriez-vous des masques, des gants, n’importe quoi pour nous aider !".
Frédéric Tryniszewski, président de SOS médecins Mulhouse, se rappelle lui aussi très précisément de ces jours troubles. "Les hélicoptères passaient au-dessus de ma maison", raconte-t-il, lui qui habite tout près de l’hôpital. "Et ce son-là, c’était le film Apocalypse Now !". Rapidement, l’hôpital de Mulhouse étant saturé, l’armée déploie des tentes directement sur le parking de l’établissement pour prendre en charge l’afflux ingérable de malades. "Je voyais cela quasiment depuis ma porte. C’est vrai que cette image est marquante", confirme Frédéric Tryniszewski.
"C’était vraiment effrayant de se dire qu’on pouvait donner cette maladie à nos proches"
Face à cette situation hors normes, comme tous les soignants, Frédéric Tryniszewski et Myriam Boukhechem doivent alors réagir très vite. Ils mettent les bouchées doubles, travaillent sans relâche, parfois au risque de leurs vies.
Alors par précaution, Frédéric Tryniszewski décide durant plusieurs mois de ne plus vivre avec sa famille. "Ma femme et mes enfants m’en parlent encore aujourd’hui", raconte-t-il. "Ils me disaient 'tous les jours on te voyait partir en guerre et on se demandait si le soir tu allais rentrer'". A la fin de sa journée de travail, le médecin se déshabille dans son sous-sol pour éviter de contaminer ses proches. C’est là aussi qu’il dort en attendant de retourner "au combat" le lendemain. "A la fin de ces longs mois, mon fils, un grand dadais d’1,80m, m’a pris dans les bras et m’a dit 'Papa, j’ai besoin de toi'", se rappelle le médecin avec émotion.
Myriam Boukhechem, elle, se confine au même moment avec sa mère et sa sœur. Après avoir fait la tournée de ses patients à domicile, l’infirmière libérale rentre chez elle "la boule au ventre", craignant de contaminer sa famille. "Je prenais plusieurs douches parce que j’avais peur", se souvient-elle. "C’était vraiment effrayant de se dire qu’on pouvait donner cette maladie à nos proches, qu’il pouvait leur arriver quelque chose à cause de nous".
"Sur nos jours de congé, on organisait des tournées Covid à domicile"
Malgré toutes ses craintes, Myriam Boukhechem continue coûte que coûte à rendre visite à ses patients, souvent âgés. Et prend alors une décision avec d’autres collègues infirmières libérales, et SOS Médecins : "On s’est regroupés, entre différents cabinets mulhousiens et on a créé la 'tournée Covid'", explique-t-elle. "Sur nos jours de congés, on s’occupait uniquement de patients Covid positifs à domicile. Cela nous a permis de les rassurer : beaucoup ne voulaient pas aller à l’hôpital, cet endroit faisait peur à ce moment-là", poursuit-elle.
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Grâce à cette "tournée Covid", dont l’idée a été reprise ensuite dans d’autres villes de France, Frédéric Tryniszewski estime que "plus de mille patients ont ainsi pu rester chez eux, durant la première vague de l’épidémie". Des patients qui, aujourd’hui encore, font part de leur reconnaissance à Myriam Boukhechem. "Quand ils me disent 'Merci Myriam, grâce à vos visites, j’ai pu rester à la maison, cela m’a sauvé la vie', c’est la plus belle chose qu’on puisse entendre en tant que professionnel de santé", sourit l’infirmière.
Un début d’épidémie "traumatisant" pour Mulhouse
En France, c’est à Mulhouse, dans le Haut-Rhin, que l’épidémie de Covid 19 a commencé après la détection d’un cluster dans une église évangélique. La ville est alors à la Une de tous les journaux ce qui a laissé des séquelles chez beaucoup d’habitants. "Cela a été un traumatisme personnel pour quasiment tous les Mulhousiens, parce que tout le monde connaît un frère, une sœur, un parent, un voisin qui a été touché", explique Frédéric Tryniszewski.
"Et le deuxième traumatisme a été d’être montré du doigt pendant longtemps que ceux étant responsables d’avoir généré le Covid en France", poursuit-il. "Je pense que ce traumatisme sera longtemps ancré dans les mémoires", conclut le médecin. La maire de Mulhouse n’a d’ailleurs pas souhaité accorder d’interview à Europe 1, souhaitant passer "à autre chose".
"On sait maintenant se préparer à gérer ce type d’événement"
Si l’épidémie semble aujourd’hui maîtrisée, bien qu’elle n’ait pas totalement disparue, il a fallu beaucoup de temps pour reprendre un rythme normal. "Trois ans après, je réapprends à vivre comme avant", sourit Myriam Boukhechem. Cette passionnée de voyage a refait faire son passeport. "Je vais enfin faire un grand voyage au mois de mai !", se réjouit-elle.
Les deux soignants, qui ne se connaissaient pas avant l’épidémie mais qui ont appris à cette occasion à travailler ensemble, veulent aussi tirer du positif de cette incroyable expérience. "Trois ans après, on ne se dit pas du tout qu’on est invincible, on se dit juste qu’on aura moins peur [en cas de nouvelle épidémie], parce qu’on sait maintenant se préparer à gérer ce type d’événement", estime Frédéric Tryniszewski. La crise du Covid 19 "a permis de créer de la solidarité, des amitiés", confirme Myriam Boukhechem. "On a appris à travailler main dans la main. Aujourd’hui, on est un bloc", conclut l’infirmière.