Branle-bas de combat chez Altice. La maison mère de l’opérateur SFR et de plusieurs médias tels que BFMTV et Libération, a effectué jeudi un grand ménage d’automne au sein de sa direction. Michel Combes, jusqu’ici PDG de SFR Group (ensemble qui regroupe les activités télécom et média) est remplacé par Dexter Goei, un proche de Patrick Drahi. Le fondateur d’Altice entend ainsi reprendre en main un groupe confronté à l’échec de sa stratégie.
Pourquoi un tel remue-ménage ?
Si Altice est aujourd’hui contraint de remodeler sa direction, c’est parce que la stratégie mise en place ne paye pas et que les investisseurs s’inquiètent. Le déclic a eu lieu le 3 novembre. Ce jour-là, Altice dévisse en Bourse. En une séance, le titre chute de près de 23% et perd l’équivalent de cinq milliards d’euros (en cinq mois, le titre a perdu plus de 54%). La veille, Altice avait publié ses résultats du troisième trimestre, avec un chiffre d'affaires en repli au troisième trimestre sous l'effet d'un recul de ses deux principaux marchés, la France et les Etats-Unis, et des bénéfices en hausse de 4%. Rien de catastrophique. Sauf que Patrick Drahi n’a eu de cesse ces dernières années de vendre du rêve autour de la création d’Altice, devenu en quelques années un géant mondial des télécoms et des contenus. Et force est de constater que la mayonnaise n’a pas pris.
Pourquoi la stratégie d’Altice a-t-elle échoué ?
Patrick Drahi a mis en place une stratégie de convergence en voulant réunir au sein d’un même ensemble les tuyaux et les contenus, les télécoms et les médias. Autrement dit, avoir la main sur l’ensemble de la chaîne de diffusion : téléphonie, box Internet, fibre, chaînes de télévision, compétitions sportives, séries télévisées, etc. C’est surtout la partie "contenus" qui pose problème. Rêvant d’être à la fois Netflix et Bein Sports, Altice a sorti le carnet de chèques à tout bout de champ pour acquérir et développer des programmes : achat des droits exclusifs de la Premier League anglaise, de la Ligue Europa et de la Ligue des Champions de football, partenariat avec Netflix et création de la chaîne Altice Studio pour mettre en valeur les séries maison, côté divertissement. Sans oublier, le catalogue SFR Presse, continuellement étoffé avec de nouveaux titres.
Sauf que toutes ces acquisitions ont coûté cher, très cher, à Altice. Au fil des ans, le groupe a accumulé une dette colossale de 51 milliards d’euros. Pendant longtemps, les investisseurs et les actionnaires ont laissé le temps au projet de porter ses fruits, estimant que les acquisitions d’Altice permettraient à terme de rembourser cette dette. Or, les contenus originaux et exclusifs sont très difficiles à rentabiliser. C’est d’ailleurs pour cette raison que Free, Orange et Bouygues ont peu à peu délaissé ce terrain, préférant se concentrer sur des forfaits à prix cassés pour le premier ou sur la qualité des réseaux fibre et 4G pour les autres. Finalement, les annonces répétées de résultats en demi-teinte et le recul récent aux États-Unis et en France, là où la holding de Patrick Drahi possède le plus d’activités, ont résonné comme un signal d’alarme pour ceux qui ont prêté de l’argent au groupe.
Quelle est la part de responsabilité de SFR ?
La multiplication des contenus ne fonctionne pas, pour l’instant, mais ce n’est pas la seule activité d’Altice qui est en difficulté. SFR, le porte-étendard d’Altice en France, sa marque la plus identifiée, n’est pas au mieux. Depuis le rachat par la holding de Patrick Drahi en 2014, l’opérateur au carré rouge a perdu 1,6 million de clients sur le mobile et plus d’un demi-million sur le fixe (sur ce segment, SFR a même été dépassé par Free). Une fuite qui incombe en grande partie à l’actionnaire précédent, Vivendi, qui n’investissait plus dans les infrastructures.
Résultat, le réseau de SFR est à la traîne et les clients quittent le navire, direction Orange, Bouygues et Free. Que ce soit dans le mobile ou dans la fibre, SFR ne peut plus rivaliser. Altice s’est lancée dans une vaste entreprise de rénovation du réseau pour rattraper la concurrence mais le mal est fait. Selon l'Association Française des Utilisateurs de Télécommunications, plus de la moitié des plaintes déposées contre un opérateur en 2016 ciblait SFR. A tout cela, il faut ajouter la politique d’économies imposée par Patrick Drahi avec un plan de restructuration qui a conduit au départ d’un tiers des 15.000 salariés de l’opérateur et qui impacte fortement les agences, donc la relation client.
A quoi va servir cette réorganisation ?
"Les nouvelles direction et structure de gouvernance sont conçues pour mieux mettre en place la stratégie d'Altice, faire en sorte que le management réponde plus clairement de ses actes et améliorer les performances opérationnelles et financières du groupe." Le communiqué d’Altice laisse peu de place au doute sur les motivations de Patrick Drahi : il faut redresser la barre et vite. Preuve de l’urgence de la situation, l’homme d’affaires franco-luso-israélien, habitué aux rôles de l’ombre, s’arroge le poste de président du conseil d’administration d’Altice. Selon le communiqué du groupe, Patrick Drahi établira en tant que président du conseil d'administration les "priorités stratégiques, opérationnelles, commerciales et technologique du groupe ainsi que leur exécution, en particulier à SFR".
Pour redresser la situation, il s’est entouré de proches. Dexter Goei, l'homme de confiance de Drahi déjà directeur général d'Altice USA, est nommé directeur général d'Altice et aura donc les commandes opérationnelles du groupe. Alain Weill, jusqu'alors directeur général de SFR Medias (BFM TV, RMC, L'Express…), est nommé PDG de SFR. Autre compagnon de route historique de Drahi, Armando Pereira, déjà chargé des opérations du pôle télécoms de SFR, devient directeur opérationnel d'Altice Telecom avec la responsabilité de piloter l'ensemble de l'activité télécoms du groupe. "Cette structure représente un retour à l'organisation d'origine qui avait permis le succès du groupe Altice", souligne le groupe. Un retour aux fondamentaux qui permettra peut-être de sauver l’ambitieux projet de Patrick Drahi. En attendant, la Bourse reste circonspecte : à la mi-journée, le titre Altice perdait 1,59%.