L’opération liquidation a débuté à Bercy. Deux jours après les déclarations de Bruno Le Maire, qui annonçait des privatisations, l’État a cédé mardi 4,5% du capital du groupe énergétique Engie. L’opération, supervisée par l’Agence des participations de l’État (APE), va rapporter 1,53 milliard d’euros. Il s’agit de la première étape d’une vague de cessions de titres devant permettre à l’État d’amasser 10 milliards d’euros afin de financer un fonds pour l’innovation.
- Quels sont les enjeux derrière la cession d’Engie ?
Le dossier Engie était le plus facile à régler, l’État disposant d’une marge confortable par rapport à son obligation de gestion de l’entreprise énergétique. La loi lui impose en effet de détenir au moins un tiers des droits de vote ou du capital d'Engie. Mais grâce au système des droits de vote double, instauré par la loi Florange de 2014, l'État peut continuer à avoir le tiers des droits de vote en détenant moins d'un tiers du capital. Contrainte respectée puisqu’au terme de l'opération, Bercy détient encore 24,1% du capital d'Engie et 27,6% des droits de vote, restant ainsi le principal actionnaire du groupe. "Cette cession de titres s'est déroulée dans de très bonnes conditions pour les intérêts patrimoniaux de l'État. Elle constitue la première étape du plan de cessions d'actifs pour un montant de 10 milliards d'euros", s'est félicité le ministre de l'Economie Bruno Le Maire.
C’est maintenant que les choses sérieuses commencent. L’Agence des participations de l’État est présente au capital de 81 entreprises. Ces participations pèsent actuellement près de 100 milliards d'euros, dont 70 dans des sociétés cotées au CAC 40. L’État a donc une marge de manœuvre conséquente, bien que plus limitée qu’il n’y paraît : il y a des participations invendables car le cours de bourse est trop bas et surtout des participations bloquées par la loi, qui impose à l’État de détenir un certain pourcentage d’actions, comme pour EDF. Quoi qu’il en soit, Bercy a bien conscience qu’il doit vendre car l’État n’est pas un excellent actionnaire : la valeur de son portefeuille boursier a chuté de 30% en six ans.
- Où l’État peut-il lâcher une partie de ses actions ?
Bercy va donc devoir effectuer des arbitrages. Première option : céder une partie des parts dans les sociétés cotées en bourse. L’État est présent au capital de 13 d’entre elles. Trois d’entre elles sont intouchables : Safran et Thalès pour leur enjeu stratégique, et Areva, que l’État vient de recapitaliser. Le cas STX est rendu complexe par l’embrouille autour de la vente des chantiers de Saint-Nazaire à l’italien Fincantieri. Vendre des parts d’Air France-KLM ne serait pas l’opération la plus lucrative : l’arrivée au capital de Delta Airlines et China Eastern a dilué la part de l’État dans la compagnie aérienne, et il ne dispose plus que de 14% des actions, soit environ 500 millions d’euros.
Parmi les entreprises restantes, Renault et Orange reviennent régulièrement. L’État est le premier actionnaire du constructeur automobile avec près de 20% des parts, l’équivalent de 4,4 milliards d’euros. Le deuxième actionnaire, Nissan, dispose de 15% des parts de Renault, ce qui laisse à l’État un peu de marge pour lâcher du lest. La situation est identique pour Orange, dont l’État possède 23% (soit 4,9 milliards).
- Peut-il y avoir des privatisations totales ?
Ces cessions partielles dans les grandes entreprises atteindront donc difficilement les 10 milliards d’euros. Mais Bercy a d’autres ressources : les privatisations. Sur ce point, la cession d’Aéroports de Paris (ADP) est crédible. L’État détient 51% du capital de la plateforme aéroportuaire et une vente totale lui rapporterait 7,3 milliards d’euros. Il faut changer la loi pour descendre en dessous des 50% mais ce n’est pas vraiment un problème, cela a déjà été fait pour vendre les aéroports de Nice et de Lyon (la procédure est plus simple que dans le cas d'EDF, l'électricité étant plus stratégique que les aéroports). Toutefois, l’État préférerait vendre à un actionnaire français, ce qui restreint le champ des possibles. Le groupe Vinci, intéressé par ADP, semble être un choix logique.
Autre cession potentiellement juteuse : la Française des Jeux, non cotée en bourse. C’est un mastodonte qui intéresse fortement les acteurs du jeu, il y aurait donc des acheteurs. L’État pourrait en tirer un bon prix (jusqu’à 1,4 milliard en cas de privatisation totale, plus vraisemblablement quelques centaines de millions) et faire coup double. En effet, en privatisant, l’État continuerait quand même à percevoir les taxes engendrées par la FDJ : une manne financière de trois milliards d’euros annuels.
- Que veut faire l’État de l’argent des cessions ?
Ces cessions d’actifs doivent servir à alimenter un fonds de 10 milliards d'euros pour financer l'innovation. Mis sur pied par l’Agence des participations de l’État et géré par la Bpifrance, ce fonds devra rapporter "200 à 300 millions d’euros de rendements par an", selon une source proche du dossier citée par Le Parisien. Les milliards accumulés serviront à accompagner financièrement les start-up et les entreprises innovantes avec un objectif ambitieux : former de nouveaux champions dans le numérique et les nouvelles technologies, domaines où la France est en retard par rapport aux pays anglo-saxons.